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vendredi 16 mars 2012

L’EDITORIAL D’ALEXANDRE VATIMBELLA. Le monde est-il en train de se «désoccidentaliser»?

Voilà la nouvelle mode. Après le «déclin de l’Occident», voici que le monde est en train de se «désoccidentaliser». Derrière ce terme apparu depuis peu, se cache la double idée du déclin de la civilisation européenne et nord-américaine et de la montée en puissance d’un nouveau modèle planétaire dominé par des pays, non seulement non-occidentaux, mais qui sont des adversaires d’une vision libérale du monde, modèle qui va se répandre de plus en plus et reléguer celui de l’Occident à la portion congrue.
Les preuves apportées par les chantres de cette passation de pouvoir sont, avant tout, économiques. Il leur suffit de comparer les courbes de croissance des pays avancés avec celles des grands pays émergents pour légitimer leurs affirmations. Car, dans le formidable développement économique de ces derniers se trouvent aussi, selon eux, une vision du monde complètement différente qui produit des résultats positifs et qui séduit une majorité de pays.
Dans le débat, il y a, bien sûr, la confrontation entre les deux fameux «consensus», celui de Washington et celui de Beijing. Pour faire court, le premier insiste sur le fait que le développement économique va de pair avec la mise en place d’un régime démocratique. Le second prétend que le libéralisme économique n’a pas besoin du libéralisme politique pour apporter la croissance.
La Chine a démontré que son consensus de Beijing – puisqu’elle en est à l’origine – fonctionnait. Le capitalisme d’Etat est une réalité et il n’a pas besoin d’une société civile démocratique pour exister. En tout cas, pour l’instant. Et cela ne veut pas dire que la population approuve ce consensus, soi-disant plus intéressée de son bien-être économique que de sa liberté. Nous y reviendrons.
Reste que l’exemple de la Chine fonctionne à tous les étages du sujet qui nous intéresse. L’Empire du Milieu permet, à la fois, de démontrer le déclin de l’Occident et la «désoccidentalisation» de la mondialisation.
Sauf que pour qu’il en soit ainsi, il faudrait d’abord que la planète ait été «occidentalisée» et que, si c’est le cas, les valeurs véhiculées aujourd’hui par la mondialisation (phénomène global culturel et non uniquement la globalisation économique) soient étrangères aux valeurs promues par l’Occident, en gros, la démocratie, le capitalisme, les droits de l’homme, l’individualisme et le progrès.
Avec la domination mondiale de l’Occident à partir du XIX° siècle, le monde, il est vrai, a été modelé par certaines valeurs humanistes venues tout droit du christianisme mais également de visions beaucoup plus terre à terre concernant l’organisation de la société et de l’économie. Mais cela n’a jamais concerné tous les pays et tout le tissu social d’une société. De même, les occidentaux triomphants n’étaient pas les seuls vecteurs de cette mondialisation, ils recevaient en même temps qu’ils donnaient. Et ils estimaient et estiment toujours qu’ils s’enrichissaient grâce aux autres cultures, ce qui est loin d’être une opinion réciproque.
Avec la montée en puissance de quelques grands pays, notamment la Chine et l’Inde qui ont des cultures millénaires et un réveil du fondamentalisme musulman, l’Occident et sa vision du monde sont désormais concurrencés par leurs valeurs et leurs «modèles». Evidemment, il l’a toujours été dans l’Histoire mais la montée en puissance des économies des grands pays émergents et la violence du monde musulman ont servis de levier au réveil culturel de ce fameux «reste du monde», celui «en dehors de l’Occident».
Mais est-ce que le monde, pour autant, a décidé de se passer des valeurs et de la vision occidentales du monde? Et, surtout, celles-ci sont-elles uniquement «occidentales» parce qu’elles ont été conçues et promues par les pays européens et d’Amérique du Nord? Car voilà bien la question centrale qu’il convient de poser à tous ces «experts en désoccidentalisation».
Mettre en avant l’individu et sa liberté, promouvoir son respect et sa dignité sont-ils uniquement des préoccupations d’Occidentaux comme tentent de le faire croire ceux qui, à l’intérieur même de l’Occident, souhaitent détruire l’édifice et, à l’extérieur, de justifier leur domination liberticide en affirmant que la «vérité occidentale» n’est qu’une des multiples vérités qui ont cours sur la planète.
Toutes les dictatures du XX° et du XXI° siècles, même celles produites par des pays occidentaux comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, ont critiqué ces valeurs en les affublant du qualificatif d’«étrangères» avec tout ce que cela comporte de connotations péjoratives mais aussi de présentations inquiétantes.
C’est là qu’il convient de dire que l’être humain n’est pas différent qu’il habite aux Etats-Unis ou en Chine, qu’il soit noir ou blanc, qu’il est les yeux bridés ou non, qu’il habite sur un continent ou un autre. L’affirmer est un contresens scientifique (nous venons tous de mêmes ancêtres) et un déni de reconnaissance des droits inaliénables de l’individu, droits qui doivent s’exercer dans une société au lien social fort mais non liberticide et irrespectueux.
A partir de ce constat, force est de reconnaître que ceux qui se font les chantres de la «désoccidentalisation» sont, le plus souvent, ceux qui relativisent l’individu et ses droits inaliénables.
Et nous en revenons à la fameuse opposition «consensus de Beijing»-«consensus de Washington» Si, comme nous l’avons vu, l’argent n’a pas d’odeur, ce ne sera peut-être pas le cas toujours. Car, pour être innovante et se projeter dans l’avenir, une économie doit s’appuyer sur le talent créatif de la population. Or, dans une société fermée et autoritaire, la création a tendance à être annihilée.
Mais dire que les peuples appuient cette vision de leur développement n’est pas exacte même si elle séduit quand même ceux qui bénéficient des bienfaits d’un niveau de vie qui augmente sans cesse. Si l’on demande s’ils veulent décider librement de leurs avenirs, pas un seul est contre cette proposition.
Regardons le Printemps arabe, même si son contrecoup n’engage guère à un optimisme béat. Regardons plutôt ce sondage qui vient de Chine, le pays du «consensus de Beijing». Il montre que 63% des Chinois veulent l’instauration d’une démocratie de type occidentale dans leur pays. Et plus de 15% estiment qu’on peut l’instaurer immédiatement. Voilà qui va mettre à mal les affirmations péremptoires des autocrates du monde entier comme les révoltes des peuples arabes l’avaient déjà fait.
L’Occident n’est évidemment pas le paradis sur terre et sa vision n’est pas la seule acceptable. Cependant, en tirer la conclusion que les valeurs humanistes véhiculées par sa civilisation sont inapplicables ailleurs dans le monde n’est qu’un mensonge et, surtout, un irrespect pour les peuples qui s’en voient privés sans même qu’on leur ait jamais demandé leur avis.
Une réalité jamais démentie, c’est bien la volonté, partout dans le monde, de vivre sous un régime démocratique. Si la Chine fascine par son développement économique si rapide, c’est encore les Etats-Unis qui fascinent les hommes et les femmes qui veulent vivre leur rêve. Le jour où ils préfèreront vivre sous un régime autoritaire plutôt que dans une démocratie, on pourra alors parler de désoccidentalisation du monde. On n’y est pas encore. Espèrons que l’on n’y soit jamais…

Alexandre Vatimbella
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