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lundi 26 mai 2014

LE FOCUS. L’Inde au défi du nationalisme et du développement

L’Inde a donc un nouveau premier ministre, Narendra Modi, et, surtout, pour la première fois depuis longtemps, un parti, le BJP (Bharatya Janata Party) qui a une majorité absolue à la Chambre des députés, la Lok Sahba, réduisant dans le même temps, la représentation du parti du Congrès de la dynastie Nehru-Gandhi au pouvoir jusque-là à une quarantaine d’élus.
Un véritable séisme politique!
Cette majorité absolue est loin d’être anodine quand on se rappelle que la plupart des blocages connus par le précédent gouvernement venait avant tout de son impossibilité à réunir une majorité sur des textes fondamentaux pour le développement du pays et son ouverture à la mondialisation ainsi que pour mettre fin à toutes les prévarications qui gangrènent le monde politique et empêchent l’Inde de rentrer de plein pied dans le XXI° siècle.
Ce qui est paradoxal dans l’affaire c’est que c’est un nationaliste aux idées parfois dangereuses et xénophobes qui va peut-être, enfin, ouvrir réellement le pays, ce que n’a pas réussi à faire Manmohan Singh, le premier ministre sortant qui, pourtant, avait la volonté d’aboutir mais n’avait pas les mains libres pour le faire.
Bien entendu, il faut nuancer cette affirmation en rappelant ce que l’on oublie trop souvent, que l’Inde est une fédération d’Etats et que ceux-ci possèdent de nombreux pouvoirs qui peuvent bloquer toute modernisation politique ou tout progrès économique et social.
Exit donc le parti du Congrès et voici maintenant le BJP au pouvoir.
Néanmoins, la prudence demeure de mise face à une vision de l’Inde portée le BJP (accusé, notamment, de vouloir imposer l’hindouisme de force à tout le pays) qui pourrait rapidement faire basculer le pays dans une idéologie d’exclusion et de nationalisme pur et dur, voire d’affrontements entre la communauté hindou, d’un côté, et les autres communautés religieuses de l’autre, au premier rang desquelles on trouve les musulmans (sans oublier les chrétiens et les sikhs).
Or, pour se développer, l’Inde a absolument besoin de consensus intérieur et d’une véritable ouverture vers l’extérieur, ce qu’elle n’a pas réussi à faire ces dernières décennies d’où une croissance désormais en berne qui, si elle atteint 4,5% environ, est bien loin des 10% nécessaires (et que le pays n’a atteint que rarement) pour faire sortir l’énorme majorité de sa population de la pauvreté.
Sans oublier des infrastructures lamentables, une inflation structurelle quasi-immaîtrisable en phase de forte croissance et des écarts de richesse au-delà de l’imaginable entre les plus aisés et les plus pauvres.
Car, au-delà des performances remarquables de certaines entreprises indiennes et de la naissance d’un noyau de classe moyenne, la réalité de l’Inde c’est la pauvreté endémique – et pas seulement dans les campagnes – des trois quarts de la population dont une grande partie ne mange pas encore à sa faim et vit dans un état d’insalubrité chronique, ne pouvant bénéficier de l’électricité l’entière journée et de l’eau potable, incapable de pouvoir se déplacer correctement avec un réseau de transport (routier, ferroviaire, aérien) sous-développé.
Les challenges que doit relever Narendra Modi sont réellement impressionnants et ont été maquillés par des statistiques officielles truquées, pratique maintes fois dénoncées par les économistes indiens eux-mêmes.
Ils le sont d’autant plus que ces challenges, du fait du blocage politique de ces dernières années, se sont accumulés sur fond d’incurie de la fonction publique et de sa corruption endémique (qui touche aussi le secteur privé) et de corporatismes gigantesques qui font que l’Inde a pris un retard peut-être irrattrapable face à son grand voisin et son grand concurrent, voire adversaire, la Chine mais aussi de nombreux grands pays émergents comme l’Indonésie, la Turquie et même le Brésil.
Sans oublier que le nationalisme intolérant du BJP pourrait faire monter les tensions avec les voisins de l’Inde, au premier rang desquels, outre la Chine et le Bangladesh, il y a évidemment, le Pakistan.
L’avenir de l’Inde, malgré cette clarification politique qui était nécessaire pour sauver le pays d’un engourdissement fatal, est plus que jamais fragile.
Les Indiens, qui viennent de le porter au pouvoir, vont ainsi pouvoir juger si Narendra Modi, de politicien habile et tribun brillant pourra se transformer un homme d’Etat responsable et bâtisseur de l’Inde nouvelle.
En tant que gouverneur de l’Etat du Gujerat pendant treize ans, il a réalisé de bonnes choses économiquement parlant mais a été une sorte de populiste intolérant qui a couvert et, pour certains, ordonné, le massacre de mille à deux mille musulmans lors d’émeutes en 2002.
Sera-t-il le «marchand de morts» comme le qualifie ses opposants, l’homme de l’intolérance, ou le «magicien» comme l’appelle ses partisans, l’homme de la réussite économique?
La réponse ne devrait pas tarder.
Alexandre Vatimbella

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mercredi 21 mai 2014

L’EDITORIAL D’ALEXANDRE VATIMBELLA. Russie-Chine, une alliance contre-nature et de circonstance face à la démocratie

Quand les dictateurs et les dirigeants autoritaires sont aux aboies, ils ont tendance à s’unir face à aux démocraties et à sortir leurs anathèmes et à montrer leurs muscles.
Telles sont, à nouveau, les postures de la Chine et de la Russie qui, avec Xi Jinping et Vladimir Poutine et comme au bon vieux temps de la Guerre froide, se serrent les coudes face à l’Occident et aux revendications démocratiques de leurs propres peuples, elles qui sont déjà des partenaires dans le club moribond des grands émergents, le Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud).
Mais voilà bien une alliance contre-nature qui doit faire bondir tous les observateurs avertis des deux pays.
Car la grande peur ancestrale de la Russie, ce n’est pas l’Occident ou même la perte de sa sphère d’influence à l’Ouest, mais bien la Chine, son milliard et demi d’habitants (alors que la population russe n’en finit pas de baisser), ses revendications territoriales ancestrales à sa frontière extrême-orientale ainsi que sa nouvelle puissance économico-politico-militaire.
Et la Chine se méfie de cette Russie expansionniste qui a asservi tous ces peuples dans feue l’Union soviétique que Vladimir Poutine veut faire revivre d’une manière ou d’une autre.
Dès lors, voir les deux pays faire des déclarations communes face à l’Occident rappelle que Staline et Mao, déjà, maniaient la rhétorique antidémocratique tout en se méfiant l’un de l’autre au plus haut point.
C’est tellement ahurissant de voir la Chine se taire sur les agissements de la Russie en Ukraine, elle qui est terrorisée que la communauté internationale se mobilise sur l’indépendance du Tibet ou du Xinjiang et qui brandit la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays comme une règle intangible et absolue.
Bien évidemment les apprentis dictateurs comme Poutine ou Xi ne sont pas à une contradiction près quand il s’agit de se battre contre leur ennemi mortel, la liberté.
On voit bien la similitude dans le combat contre ceux qui demandent un régime démocratique réel que ce soit en Russie et en Chine.
Non pas ceux qui nous rabâchent les «spécificités» de chacun des deux pays pour affirmer qu’il faut une «démocratie à la chinoise» ou «une démocratie à la russe» dont le point commun serait de nier les droits de l’individu et les valeurs de la personne au nom d’une vision holistique soi-disant «historique».
Heureusement que les dissidents qui peuvent parler avant d’être envoyés dans les camps chinois et russes ou après en être sortis, affirment l’inanité d’une telle vision réductrice et rappellent que la demande d’une vraie démocratie est réelle et forte, tant en Chine qu’en Russie.
Oui, Vladimir Poutine joue à l’apprenti-sorcier en s’alliant avec la Chine qui lorgne sur les matières premières dont la Russie regorge.
Car ce n’est pas les richesses et le territoire des Etats-Unis, de la France ou de l’Allemagne que lorgnent les dirigeants de Pékin mais bien celui d’une Russie en décadence.
Tous les mauvais choix que le maître du Kremlin fait aujourd’hui, son pays devra en payer le prix demain au centuple.
Quant à la Chine, elle trouve dans Poutine un allié de circonstance dont elle pourra se débarrasser le moment venu, peut-être même pour se rapprocher de l’Occident quand il le faudra.
Néanmoins, cette alliance risque de développer un peu plus son hubris et lui faire faire quelques mauvais calculs qu’elle pourrait payer au prix fort.
Quand à l’Europe et aux Etats-Unis, ils doivent prendre cette alliance à la fois au sérieux – les régimes autocratiques font souvent des choix illogiques voire insensés – et pour ce qu’elle est dans la durée, de la poudre de perlimpinpin.
Alexandre Vatimbella

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