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mardi 6 septembre 2016

Etats-Unis. Présidentielle 2016. Les rêves américains opposés de Clinton et Trump

Contrairement à ce que l’on pense, il n’existe pas «un rêve américain» unique qui serait, à la fois, défini exactement et qui serait commun à tous les Américains.
Le Rêve américain est multiple, on peut même dire que chaque Américain a son propre rêve (et que beaucoup de personnes, à travers le monde ont leur «rêve américain»).
Sur l’échiquier politique, le rêve se décline également par rapport aux convictions de chaque idéologie.
Néanmoins, on peut en catégoriser quatre prédominants correspondant aux quatre idéologies qui dominent la vie politique du pays.
D’ailleurs, à l’occasion de cette présidentielle, ces dernières se sont affrontées lors des primaires avec les quatre candidats principaux, Donald Trump (populiste démagogue de droite) et Ted Cruz (extrémiste de droite) du côté républicain, Hillary Clinton (centriste) et Bernie Sanders (populiste démagogue de gauche) du côté démocrate.
Pour schématiser, on peut les caractériser comme suit:
- Le rêve de Trump est celui de la réussite personnelle et de l’individu égoïste;
- Le rêve de Cruz est celui d’une nation fondée sur les valeurs chrétiennes conservatrices;
- Le rêve de Clinton est celui d’un pays des opportunités et de la solidarité;
- Le rêve de Sanders est celui de l’égalitarisme.
Le rêve de Trump l’a emporté chez les républicains et celui de Clinton chez les démocrates.
D’une certaine manière, c’est dans la normalité puisque les rêves proposés par les deux candidats en lice pour l’élection du 8 novembre prévalent dans la société américaine depuis la fondation de la nation (encore que celui de Trump soit une version extrémiste de la réussite personnelle et du rejet de l’autre) même si les rêves proposés par Cruz et Sanders ont toujours existé mais le plus souvent en retrait par rapport à ceux-ci.
Pour autant, est-ce que la question des rêves sera aussi prégnante lors de cette élection qu’elle l’a été lors ces précédentes, notamment en 2008 et 2012 lors des victoires de Barack Obama?
Il semble, pour l’instant, que la focalisation sur les personnalités des deux finalistes, surtout sur la capacité de Trump à occuper le fauteuil du bureau ovale de la Maison blanche, l’emportent sur la vision du Rêve américain comme élément déterminant.
Néanmoins, elle sera un élément important car ce sont bien deux manières de voir les Etats-Unis qui s’opposent même si du côté républicain il s’agit avec Trump d’un dévoiement certain, du rêve que le parti de Lincoln et de Theodore Roosevelt ont défendu et promu (même si, à leurs époques respectives, le concept n’était pas encore défini sous cette appellation).

Ce qu’est le Rêve américain
Le Rêve américain demeure le concept le plus emblématique de ce que recouvrent les Etats-Unis à la fois comme pays, comme nation et comme idéal.
Des premiers pèlerins qui accostèrent sur les côtes du Massachussetts au XVII° siècle aux illégaux sud-américains qui traversent quotidiennement la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis en passant par tous les Européens qui débarquèrent à Ellis Island, tous ceux qui ont décidé un jour de partir pour cette terre promise moderne le recherchaient.
Comme cela reste le cas de tous les Américains d’aujourd’hui, descendants des uns et des autres.
On peut le qualifier lapidairement par la formule «avoir une vie meilleure».
C’est à la fois concis et précis mais ne donne aucunement la dimension multiple qu’il a toujours eue.
On peut même affirmer que chacun des Américains, plus, chacun de nous, habitants de la planète, a son propre «rêve américain».
Ce qui fait qu’il est «américain» depuis plus de deux siècles, vient de cette croyance qu’il est possible de le réaliser aux Etats-Unis et pas ailleurs, ce pays où même la Constitution reconnaît à tout citoyen le droit à «la poursuite du bonheur».
Jusqu’il y a quelques années, il pouvait se décliner en deux grandes réussites sociales.
D’un côté, il y avait ceux qui parvenaient à faire partie de la classe moyenne en acquérant une certaine aisance et dont les enfants se voyaient offrir les opportunités leur permettant d’avoir une vie encore meilleure que celle de leurs parents.
De l’autre, il y avait ceux qui, grâce à leur talent et leur travail, parvenaient en haut de l’échelle sociale, parfois en étant partis de rien, possédant des fortunes qui se comptaient en millions voire en milliards de dollars.
Bon an mal an, elles coexistaient grâce à une croissance soutenue mais également par une sorte de consensus bipartisan entre les démocrates et les républicains.
Ce n’est plus le cas aujourd’hui où la polarisation idéologique des deux grands partis – en particulier la volonté du Parti républicain de se forger une identité plus radicale -, a remis en cause ce consensus.
Les démocrates sont devenus avant tout les défenseurs de la première réussite alors que les républicains le sont de la deuxième.
De même, la réalisation de ces deux rêves en parallèle semble actuellement bien difficile alors que l’économie, sortie il n’y a pas si longtemps de ce que les Américains appellent la «Grande Récession», demeure encore incapable d’une croissance assez forte pour la réalisation pour tous de leurs rêves sans oublier, évidemment, le creusement des inégalités entre les ultra-riches et les basses classes moyennes, sans parler évidemment des pauvres.

Une expression assez récente et discutée
Le concept de «rêve américain» ne se retrouve écrit noir sur blanc nulle part avant le milieu du XX° siècle.
Rien dans la Déclaration d’indépendance, rien dans la Constitution, rien dans les écrits des Pères fondateurs ou dans les discours des grands Présidents comme Washington, Lincoln ou Theodore Roosevelt.
L’expression va être utilisée la première fois en 1931 par un historien, James Adams Truslow, dans son livre «L’épopée de l’Amérique» («The Epic of America»).
Détail amusant, Truslow souhaitait appeler son livre «Le Rêve Américain» mais son éditeur refusa en lui expliquant que ce n’était pas un titre très vendeur et surtout que l’expression était beaucoup trop vague…
Toujours est-il que l’historien le définit comme suit: «Le Rêve américain est ce rêve d’une terre dans laquelle l’existence serait meilleure, plus riche et remplie pour tout le monde, avec l’opportunité pour chacun d’y parvenir grâce à ses capacités ou ce qu’il a accompli. C’est un rêve difficile à réellement conceptualiser pour les classes supérieures européennes, mais également pour beaucoup d’entre nous qui sommes de plus en plus lassés et méfiants à son encontre. Il ne s’agit pas simplement d’un rêve d’automobiles ou de hauts salaires, mais c’est un rêve d’un ordre social qui permettra à chaque homme et à chaque femme de parvenir à ce qu’ils sont capables d’atteindre naturellement et à être reconnus par les autres pour ce qu’ils sont, indépendamment des circonstances fortuites de leur naissance ou de leur statut».
Si l’on est étonné par un certain pessimisme qui perce dans ce texte, n’oublions pas que James Adams Truslow définit le Rêve américain au moment où la Grande Dépression des années 1930 frappe le pays.
C’est pourquoi il tente de revitaliser l’espoir des Américains d’avoir une vie meilleure mais aussi c’est la raison pour laquelle il parle de lassitude et de méfiance vis-à-vis de cet espoir au moment où le chômage et la pauvreté font un retour fracassant et font douter beaucoup de ses compatriotes sur la capacité des Etats-Unis à repartir de l’avant.
Cette définition est la première mais est loin d’être la seule.
Toute une littérature s’est développée depuis avec, à chaque fois, des définitions propres, certaines étant même extrêmement détaillées et il faudrait un bon gros livre pour les compiler.
Pour autant, elles demeurent toutes centrées autour de cette vie meilleure.
Evidemment, le Rêve américain a également beaucoup de détracteurs qui affirment qu’il s’agit plutôt d’un cauchemar, jusqu’à ceux qui dénient sa réalité tout court.
Citons ainsi, le bon mot de l’humoriste George Carlin, «Ils appellent ça le Rêve américain parce que vous devez être endormis pour y croire».
William Burroughs, figure de la Beat generation, disait «merci au Rêve américain pour vulgariser et falsifier jusqu’à ce que les mensonges nus ne brillent».
Quand à l’écrivain britannique J. G. Ballard, il estimait que «le Rêve américain est tombé en panne. La voiture s’est arrêtée. Elle ne fournit plus au monde ses images, ses rêves et ses phantasmes. Fini. Elle fournit au monde ses cauchemars désormais».
On peut en conclure, comme l’historien Jim Cullen, que, «le Rêve américain n’aurait pas cette importance aussi forte ou mystique s’il était une évidente tromperie ou un principe démontrable scientifiquement. L’ambigüité est à la source même de son pouvoir mythique, surtout pour ceux qui le poursuivent, mais qui ne sont pas sûrs d’atteindre leurs buts».

Le rêve démocrate versus le rêve républicain
Si l’on voulait grossir les traits de l’opposition entre républicains et démocrates sur le Rêve américain, on pourrait dire que c’est le Tea Party contre Occupy Wall Street, ces deux mouvements extrémistes, le premier de droite et vaguement libertarien, le deuxième de gauche et teinté d’anarchisme libertaire, qui ont vu le jour durant la première présidence d’Obama.
Les divisions sur le Rêve américain se sont beaucoup radicalisées depuis l’an 2000 et l’arrivée à la Maison blanche de George W Bush.
L’affirmation de Barack Obama comme quoi «nous pouvons venir de différents endroits et avoir des histoires différentes, mais nous partageons des espoirs communs et un seul Rêve américain» semble plus s’appuyer sur une fiction que sur la réalité.
Pour les démocrates et les progressistes, le Rêve américain est celui qui permet à chacun de vivre une vie décente, de pouvoir faire vivre sa famille sans l’angoisse du lendemain et d’espérer que ses enfants, grâce à son travail et à l’éducation qu’ils reçoivent, pourront s’élever socialement et avoir un meilleur avenir que celui de leurs parents et que les enfants de leurs enfants aient, à leur tour également la même opportunité.
Dans ce cadre, le gouvernement a un rôle actif à jouer pour offrir cette opportunité à tous.
Pour les républicains et les conservateurs, le Rêve américain est celui qui offre l’opportunité, à celui qui en a les capacités et l’envie, de s’élever socialement sans entrave, sans rien devoir à personne, surtout pas au gouvernement qui ne doit pas intervenir en la matière, et qui a le droit, une fois fortune faite, de jouir de tout ce qu’il a récolté grâce à son travail.
Ces deux versions du Rêve américain peuvent très bien cohabiter en période d’abondance et de forte croissance comme ce fut le cas, par exemple, de la fin de la Deuxième guerre mondiale jusqu’au début dans années 1970.
Le prix Nobel d’économie, Paul Krugman, ardent défenseur du keynésianisme et éditorialiste à succès au New York Times, s’en rappelle avec nostalgie dans son ouvrage, paru en 2007, l’«Amérique que nous voulons» («The Conscience of a Liberal»).
En revanche, lorsque le pays se trouve dans une situation économique plus délicate, comme aujourd’hui, les deux rêves ne sont plus complémentaires, ils se confrontent.
C’est, soit l’un, soit l’autre.
Ou, en tout cas, c’est ce que prétendent les démocrates et les républicains.
L’antagonisme sur le Rêve américain entre les deux grands partis est une des expressions les plus vives de leurs oppositions idéologiques de plus en plus exacerbées.
Chacun des deux dénoncent dans le rêve de l’autre une perversion du «vrai» rêve qui est, bien évidemment, celui qu’il promeut.
Le Rêve américain ne serait donc plus cette vision collective qui guiderait la nation mais un enjeu idéologique et politique.
C’est la vision même de la fonction de la communauté américaine qui est en jeu. Pour les démocrates, ceux qui ont doivent aider ceux qui n’ont pas.
Pour les républicains, ceux qui ont n’ont aucune obligation en la matière autre que morale et, en ce qui concerne ceux qui n’ont pas, ils les voient plutôt comme «ceux qui n’ont pas encore»…
Du coup, ce n’est pas en leur donnant des aides, ces fameux «entitlements» («droit à») qu’ils s’en sortiront mais en leur donnant la même chance d’y parvenir («equality of opportunity») que les autres, rien de plus.


Alexandre Vatimbella

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