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jeudi 20 février 2020

L’Editorial d’Alexandre Vatimbella. La démocratie au risque de la revendication permanente de tous pour tout

Quotidiennement, lorsque nous prenons connaissance des informations nous sommes bombardés de manière anxiogène par les revendications de groupes sociaux, professionnels et autres qui demandent des droits, des avantages, des passe-droits et autres bonus catégoriels tout en menaçant de se mettre en grève, de défiler ou de bloquer le pays pour un temps infini.
Et tout ceci est mis en scène pour être le plus «punchy» parce que la revendication est désormais un produit d’appel pour les médias – voir le traitement souvent scandaleux en la matière du mouvement de foule des gilets jaunes –, notamment audiovisuels, qui doivent constamment créer l’événement (et non plus relater les faits) pour avoir le plus d’audience possible dans un environnement concurrentiel où l’information est un produit pour des consommateurs et non plus un outil pour le citoyen.
D’ailleurs, dans une sorte d’aller-retour pas toujours très sains  et c’est un euphémisme – il est sûr que certaines revendications n’ont existé que par le relais que les médias leur ont accordé, voire n’ont été créées que parce que ceux qui les faisaient leur espéraient dans une reprise médiatique qui les mettraient en avant, voire au premier plan.
Une des plus grandes farces de notre époque de la revendication permanente est, dans une volonté de «convergence des luttes», la tentative de réunir les revendications portées par Europe-écologie-les-Verts en matière d’environnement et celles des gilets jaunes alors même que ces derniers ont débuté leur mouvement pour lutter contre la mise en place d’un impôt écologique, la taxe carbone!
On atteint là l’absurdité totale où ne se dégage qu’une volonté de se confronter aux pouvoirs publics par tous les moyens.
Car, dans le cas spécifique de la France, ces revendications s’adressent prioritairement à ces pouvoirs publics (et contre eux) et plus particulièrement à l’Etat même si celles-ci concernent une entreprise privée ou un secteur dont ne s’occupe pas ce dernier.
Un Etat qui est désormais – même s’il en a toujours été le principal récipiendaire – sommé d’agir afin de contenter les désidératas de cette revendication permanente de tous pour tout.
Ce nouveau paradigme de la contestation met en péril, non seulement, le socle sur lequel est bâtie la démocratie républicaine mais aussi l’essence même du lien social établi, non pas parce que nous préférons vivre en société mais parce que nous ne pouvons pas faire autrement que vivre en société.
En effet, si chacun de nous défend naturellement ses intérêts, il y a également un autre élément essentiel dans notre nature: nous ne pouvons pas vivre en dehors d’une communauté.
Même un anarchiste individualiste comme Max Stirner le reconnaissait.
Dès lors, pour vivre en sécurité, nous devons trouver un lien qui nous permet de vivre ensemble et qui, sans oblitérer la recherche par chaque individu de son intérêt, remet cette recherche dans un cadre plus large où nous devons trouver un consensus où se confrontent tous les intérêts individuels mais dans le compromis de la viabilité d’un intérêt collectif.
Ce dernier ne tombe pas d’en haut comme ce pseudo «intérêt général» dont on ne sait pas très bien de quoi il est constitué et de quelle légitimité il se réclame.
Non l’intérêt collectif est une partie indissociable de chaque intérêt individuel tout en le dépassant.
Cette apparente contradiction signifie simplement que notre intérêt individuel ne peut exister concrètement, c'est-à-dire que cette volonté puisse produire du concret, que s’il est protégé mais aussi canalisé par les règles du vivre ensemble et notamment celle qui s’appuie sur le réel.
Et cet intérêt collectif est la condition sine qua non, dans une communauté, à la réalisation effective des intérêts individuels.
Ainsi, si je veux telle chose, il faut que je puisse être vivant pour l’acquérir, c'est-à-dire que je vive dans une société qui me garantisse la sécurité comme à tous les autres membres, donc qui fasse en sorte que tous, nous reconnaissions la légitimité de cette communauté qui nous protège.
Mais si je veux telle chose, il faut également que je reconnaisse, non seulement, que tous les autres membres de ma communauté peuvent la vouloir mais qu’il est réellement possible de l’obtenir dans le cadre du fonctionnement d’une communauté qui m’assure, et la protection, et la capacité, si cela est du domaine du possible, de l’acquérir effectivement.
Je peux vouloir m’accaparer tous les biens d’une communauté mais je sais que, peut-être, d’autres membres de cette communauté le veulent aussi et que dans le réel cela est impossible, non seulement parce que ces autres ne seront pas d’accord pour me l’accorder qu’à moi mais aussi parce que cela n’est pas possible puisqu’en les conquérant je fais en sorte de ne pas permettre à ces autres de simplement exister, donc de légitimer une organisation sociale qui les exclut de facto en me permettant de tout avoir et eux rien (dès lors, ils sont d‘ailleurs légitimes à se rebeller contre celle-ci).
Il y a bien sûr plusieurs manières de faire valoir son intérêt individuel dans une communauté, dont une est la revendication.
Dans une démocratie, en matière sociale, cela peut prendre la forme légitime de manifestations et de grèves (légitimité que ne possèdent pas la rébellion et la révolution puisqu’il existe un moyen légal de changer le pouvoir en place, si celui-ci ne veut pas faire aboutir ses revendications).
Chacun peut ainsi, en respectant la règle juridique, descendre dans la rue pour demander à ce que ses désidératas soient contentés et cesser le travail pour appuyer ceux-ci.
En retour, chacun doit avoir un comportement de responsabilité en estimant si ses revendications sont du domaine du possible ou non.
C’est vrai qu’il est parfois difficile de savoir si l’on peut demande ceci ou cela et si on est en droit de l’obtenir.
Pour reprendre l’exemple cité plus haut, il est évident que de demander à posséder tous les biens d’une communauté est évidemment inacceptable.
Mais c’est un exemple évident et caricatural qui peut, tout au plus, démontrer la nécessité d’une mesure dans la revendication.
En matière de demande extra-ordinaire à la communauté (on ne parle pas ici des accords que des particuliers peuvent passer entre eux), c'est-à-dire où l’on demande quelque chose que les autres n’ont pas, il faut s’assurer de la légitimité de cette revendication au motif qu’elle établit une égalité entre tous qui n’existe pas.
Si je suis handicapé de naissance et que je ne peux monter des escaliers, il semble évident qu’une rampe ou un ascenseur rétablit mon égalité et que cette demande de pouvoir me déplacer comme les autres n’est pas illégitime et inenvisageable à mettre en œuvre techniquement et financièrement par la communauté.
Tout autrement est la demande que la communauté vous paye des avantages que les autres n’ont pas alors même que vous n’avez aucune raison que ces derniers, par le biais de la communauté, vous les payent.
C’est le cas, par exemple, en matière de retraite avec les «régimes spéciaux» payés par les deniers publics.
Ici on parle de ce que j’appelle une «plus grande égalité» que les autres, c'est-à-dire que l’on justifie que la communauté vous donne des avantages que les autres n’ont pas et qu’ils doivent vous payer parce que l’on a un droit à être plus égal qu’eux au regard de ce que l’on estime être son intérêt soi-disant supérieur pour tout un tas de raison (comme le fait de travailler dans un secteur où certains des salariés peuvent avoir une plus grande pénibilité dans leur emploi).
Plus largement, nous sommes dans une démocratie qui est devenue consumériste et à la carte (je prends d’elle ce que je veux et qui est mon intérêt et je rejette ce qui me gêne dans le recherche de mon intérêts et ce qui ne me plaît pas) où la revendication de tous pour tout est devenue permanente.
Il ne s’agit plus ici de lutter pour son intérêt avec responsabilité et en regard de ce qui est possible vis-à-vis de la vie en communauté mais de se servir sur et de la communauté pour l’assouvir quoi qu’il arrive et coûte que coûte.
Cela ne peut que mener à une impasse où les perdants seront nombreux et où l’un d’entre eux sera la démocratie républicaine qui, si elle doit gérer les intérêts individuels, n’a pas pour mission de contenter toutes les revendications mais bien de trouver un compromis entre tous dans un juste équilibre et une égalité de traitement.
Malheureusement, ce temps de la revendication permanente de tous pour tout ne semble pas au crépuscule de son existence.

Alexandre Vatimbella