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dimanche 11 novembre 2018

L'Editorial d'Alexandre Vatimbella. «Je vous déclare la paix»

Indécrottable défenseur de la paix, le centriste Aristide Briand pouvait déclarer aux anciens combattants français le 14 juin 1931:
«La France ne se diminue pas quand libre de toute visée impérialiste et ne servant que des idées de progrès et d'humanité, elle se dresse et dit à la face du monde: ‘Je vous déclare la paix’».
Mais celui qui fut un des principaux architectes du rapprochement franco-allemand de l’entre deux guerres et qui reçut en 1926 le Prix Nobel de la paix pour cela (il mourut en mars 1932 avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler) était tout sauf un pacifiste béat.
Ainsi, il disait aussi:
«Il ne suffit pas d'avoir horreur de la guerre. Il faut savoir organiser contre elle les éléments de défense indispensables. Mon pays peut le faire sans avoir à abandonner une politique de paix.»
Et il ajoutait:
«Il importe essentiellement en politique internationale de ne jamais démunir son pays des moyens dont il peut avoir besoin, non pas seulement pour lui mais pour la communauté des nations solidaires.»
Demeurer prêt à la guerre pour garder la paix: cette évidence était au cœur de son combat humaniste et de sa volonté de «plus jamais ça» tout en reconnaissant la réalité d’un monde où les jours de guerre sont plus nombreux que ceux de paix.
Onze fois président du conseil et longtemps ministre des Affaires étrangères, celui qui fut baptisé le «pèlerin de la paix» n’était pas de ceux qui ne font que des beaux discours et ne prennent pas leurs responsabilités dans l’action.
Pour que cette paix soit durable, il savait qu’il fallait une Europe unie et il était parfaitement conscient que le traité de Versailles façonné par Georges Clémenceau – qui le haïssait – avait été une occasion manquée en ce sens.
Promoteur, à l’instar de Victor Hugo, des «Etats-Unis d’Europe», il parle de manière prémonitoire de «Communauté européenne» et estime «qu’entre des peuples qui sont géographiquement groupés comme les peuples d’Europe, il doit exister une sorte de lien fédéral; ces peuples doivent avoir à tout instant la possibilité d’entrer en contact, de discuter leurs intérêts, de prendre des résolutions communes, d’établir entre eux un lien de solidarité qui leur permette de faire face, au moment voulu, à des circonstances graves si elles venaient à naître. C’est ce lien que je voudrais m’efforcer d’établir.»
Aristide Briand savait également que la paix, pour être réelle, devait avoir un soubassement légal dans les relations internationales:
«Il s’agit de fonder la paix du monde sur un ordre légal, de faire une réalité de droit de cette solidarité internationale qui apparaît comme une réalité physique.»
Le fameux pacte Briand-Kellogg signé en 1928 par une soixantaine de pays mettait «la guerre hors-la-loi».
Ce sont des personnalités comme lui et d’autres qu’il nous faut aujourd’hui pour que cette «déclaration de paix» demeure une réalité en Europe depuis près de 80 ans (malgré quelques anicroches épouvantables de l’ex-Yougoslavie à l’Ukraine) et qu’elle s’étende enfin sur toute une planète encore ravagée par les conflits où les populations civiles sont les principales touchées comme en Syrie ou au Yémen, en République du Congo ou en Birmanie.
Les centristes, gardiens du legs de Briand, doivent être en première ligne en défendant ce pacifisme lucide, cette paix qui ne se construit pas sur des abandons et des compromissions avec ses ennemis qui sont souvent ceux également de la liberté et de la démocratie républicaine.
Au moment où l’on commémore le centenaire de l’armistice de 1918, où tant de gens crurent que la guerre était enfin et définitivement reléguée dans les poubelles de l’Histoire dans une exaltation extraordinaire, rappelons-nous le sacrifice de ces millions de gens qui ne servirent à rien puisque la Deuxième guerre mondiale éclata vingt ans après (les deux conflits mondiaux sont souvent groupés par certains historiens contemporains qui parlent d’une même grande guerre mondiale avec un armistice de deux décennies entre ses deux phases) et que nous en sommes toujours à comptabiliser les millions de morts qui jonchent les champs de bataille mais aussi les champs et les villes de civils depuis la capitulation de l’Allemagne et du Japon en 1945.
Oui, la paix mais pas à tout prix, notamment à celui qui fait que ses ennemis en profitent pour créer le chaos grâce à la naïveté de certains pacifistes.
Fragile comme la démocratie, la paix à l’instar de la liberté, se défend sans concession.

Alexandre Vatimbella